En 1940, Georges Arditi et sa famille quittent Paris pour s’installer à Marseille, en zone libre.
A son retour en 1943, il découvre que l’appartement familial du 3 place Wagram a été mis sous scellés après avoir été pillé. La majeure partie de sa production d’avant-guerre a disparu, c’est-à-dire environ trente à cinquante œuvres.
En 1946, une fois la guerre terminée et tout espoir perdu de retrouver ses toiles et de voir revenir son frère d’Auschwitz, Arditi entreprend des démarches administratives en vue de récupérer l’appartement de la place Wagram.
Pour l’heure, on ne sait pas si ses démarches ont également porté sur les tableaux volés, d’autant que l’administration de Vichy n’a pas été tenue responsable de la persécution des Juifs avant 1996.
Il faut donc attendre 50 ans, et le retentissant discours de Jacques Chirac lors de l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv à Paris dans lequel il dénonce et assume la responsabilité du gouvernement de Vichy dans les persécutions et les déportations, pour qu’une mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France voie le jour. Sans attendre l’installation de cette mission, Arditi s’engage alors dans une bataille administrative afin de faire reconnaître le préjudice subi et dans l’espoir de retrouver ses œuvres.
La promptitude de sa démarche et la profusion des détails picturaux et techniques dont il a le souvenir, 50 ans plus tard, lorsqu’il tente de décrire les tableaux volés dans sa lettre au Ministère des affaires étrangères, laisse penser que leur perte l’a marqué de façon très profonde. Et l’on imagine aisément qu’un jeune peintre qui, se lançant dans la vie professionnelle, se voit percuté d’un événement aussi traumatisant que la spoliation de son travail, c’est-à-dire l’élimination pure et simple de sa passion, de ses espoirs, et plus encore de sa liberté, puisse développer ensuite d’insidieux mécanismes de défense, comme une forme de répugnance, par exemple, à se séparer de ses œuvres. Et si en 2000, Georges Arditi a fait partie des tout premiers bénéficiaires de la commission d’indemnisation mise en place par l’État en dédommagement du préjudice subi pendant la guerre, le traumatisme, lui, n’a jamais disparu.
En 2023, le tableau La Route, dont Arditi parle dans sa lettre, est retrouvé dans une salle des ventes. Il sera exposé à la Piscine de Roubaix à l’automne prochain.
La démarche de réhabilitation de Georges Arditi entreprise par sa famille se nourrit aussi de l’espoir de retrouver un jour cette part manquante de sa production, laquelle se lit en surimpression dans des œuvres constamment habitées par l’ailleurs et la mort, comme en écho à ce trou noir dans l’histoire des hommes.
Arditi ou Arditti : la question du nom
Georges Arditi naît en Arditti 1914. Pendant la Seconde guerre mondiale, la famille tombe sous la loi du 22 juillet 1940 qui vise à la dénaturalisation des Juifs. Lorsque ses papiers sont refaits au sortir de la guerre, une erreur d’orthographe fait apparaître un T manquant. Arditi décide de conserver cette orthographe, et à l’avenir, de signer ses œuvres conformément à ses papiers d’identité.
Avant 43 : les œuvres sont donc signées Arditti
Après 43 : elles sont signées Arditi
Pendant la guerre, Arditi signe certains tableaux du pseudonyme Guéret, trouvé en pointant au hasard son doigt sur une carte de France.