Une singulière aptitude à être lui-même et rien que cela. Voici pour moi le trait essentiel de Georges Arditi. Oui, cette race de peintre-là est devenue rare de nos jours, et l’on serait tenté de les excuser d’être tels qu’ils sont tant leur cas est exceptionnel. Ne se rattacher à aucune des tendances actuelles, à aucune des manières au goût du jour, quel courage ! S’écarter sans craindre des voies qui conduisent le plus sûrement au rendez-vous de la mode et aux voisinages flatteurs, l’œuvre de Georges Arditi nous confirme que telle est sa démarche. On dirait qu’il peint la tête pleine de songes où se fondent inspiration poétique, volonté sensuelle et sens profond de la réalité formelle. C’est par là que sa forme d’expression se révèle parfaitement méditerranéenne, et ce en quoi Georges Arditi, enfant de Marseille, est une parfaite émanation de sa région d’origine où tout est défi, tout est refus de se laisser figer par les modes ou piéger par l’intellectualisme. Seul est accepté ce qui reste gouverné par une impulsion vraie, indissociable de l’artiste lui-même.
Une belle vie que la sienne, une belle vie de peintre avec ses hauts, ses bas, ses incidents multiples, ses jours de bourse plate pendant lesquelles d’autres métiers occupèrent Georges Arditi – il fut dactylo, vendeur, emballeur, livreur, encaisseur, publiciste, affichiste et j’en passe – sans jamais le faire renoncer à la peinture. Les difficultés de ces jours anciens ont laissé une trace dans son œuvre comme un parfum de mélancolie habitant des hommes et des femmes à peine idéalisés, occupés de pensées quotidiennes et qui surgissent de ses toiles avec un sentiment de profonde solitude. Fantômes d’hier…
À l’époque de ses débuts, Georges Arditi, élève de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de la rue d’Ulm, eut pour professeur Cassandre. Quand, 7 ans plus tard, la nécessité de trouver un emploi s’imposa, ce fut avec Cassandre qu’il fit ses premières armes dans le métier de publiciste. Ils furent des amis. Son amitié avec ce grand artiste méconnu que fut Cassandre fournit une base efficace pour juger de l’œuvre d’Arditi. Car si l’on veut évoquer une filiation, on peut penser à l’influence indéniable de Cassandre. Rappelons qu’à la même époque, un autre peintre, et non des moindres, Balthus, dans certaines de ces toiles, celles qui appartenaient à un art d’intimité, offre une filiation similaire, les mêmes demi-jours, cette même étrangeté faite de rêves un peu trouble. Sans doute la plus grande force d’Arditi est de se situer en dehors des époques et des écoles, et de rappeler avec douceur, mais avec fermeté, que l’on peut s’inscrire en marge du mouvement artistique triomphant, être seul comme une île en pleine océan et néanmoins faire preuve de créateur. Avec cette actuelle exposition au Musée de la Poste, Arditi, au travers d’une œuvre abondante et variée, nous montre comment le talent, selon lui, consiste à savoir s’exprimer au-delà du temps, de l’âge et des écoles.
Edmonde Charles-Roux de l’Académie Goncourt