Georges Arditi naît en 1914. En 1932, à l’âge de dix-huit ans, alors qu’il y est élève de la classe de première 2A, il obtient la médaille du Lycée Carnot lors de l’exposition annuelle de peinture organisée par l’établissement[1]. Voilà qui cheville une vocation, aux yeux de la famille, des camarades de classe et de soi-même. À l’heure de faire prospérer académiquement un talent de jeune homme, Georges Arditi opte, dès la rentrée suivante, pour l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, rue d’Ulm. Il y bénéficie de l’enseignement de bons maîtres, Raymond Legueult[2] et surtout Cassandre[3] à tout le moins[4], personnalités bien différentes mais, par ailleurs, parfaitement intégrées dans les réseaux structurant le monde et le marché de l’art : galeries, institutions publiques, revues, maisons d’édition et critiques.
Les chronobiographies d’artistes taisent les tourments de l’âme et les vicissitudes du temps, et elles ne sont pas toujours fiables s’agissant des commencements. Quant aux mémoires, souvenirs et autobiographies d’artistes, c’est là un genre littéraire où la réécriture a posteriori délivre des données dont l’interprétation échappe, le plus souvent, aux grilles d’interprétation et d’analyse des historiens de l’art. D’autant que Georges Arditi n’a guère bénéficié de leurs travaux, non plus que de beaucoup de chroniques de critiques d’art. Elle est courte, la liste des articles écrits sur son travail de peintre. Ce qui le conduit, vraisemblablement en 1990 à l’occasion de la rétrospective de son œuvre au musée de La Poste, à prendre la plume en lieu et place du critique dont il aurait rêvé[5]. Commentant Le Crépuscule, 1943, il écrit : « Arditi est déjà – à 28 ans – au faîte de sa maîtrise. Sa notoriété grandit dans un petit cercle et s’apprête sans doute à franchir une étape sociale importante. Qu’est-ce qui, soudain, ébranle l’édifice et le fait basculer ? À quoi est due l’évolution qui va suivre ? Plus qu’au circonstanciel (fin de la guerre, bouillonnement de l’après-cauchemar, perméabilité – tout de même – à certains courants picturaux, etc.), Arditi lui-même l’attribue plutôt à ce doute permanent chez tous les artistes, cancer moderne et inévitable ! »[6]. Dont acte, mais ce « doute permanent » n’aurait-il pas des racines en effet circonstancielles ? Car naître en 1914, c’est avoir 25 ans en 1939 ; et lorsqu’on embrasse une carrière de peintre, au sortir de l’École, lorsqu’il faut multiplier les expositions, enchaîner les envois en Salons, attirer les critiques dans l’atelier, pousser les portes des galeries, c’est se retrouver, sans appuis ni acquis, au beau milieu d’une scène en déroute. Aucun peintre né en France en 1914 n’est passé à la postérité[7]. Cette circonstance est grevée d’une double peine, pour le jeune homme qu’est Arditi au début de l’Occupation : il est juif. Empêché d’exposer par les ordonnances allemandes et les mesures réglementaires antisémites édictées par l’État français, il aurait d’autant moins pu donner de la visibilité à son travail que la plupart des galeries auxquelles il pouvait potentiellement prétendre avaient dû, pour les mêmes raisons, fermer leurs portes. Mais, paradoxalement, c’est dans ce climat d’insécurité totale qu’il entreprend son premier grand chef-d’œuvre, ce Le Crépuscule, peint à Paris, au cœur de l’Occupation, sinon dans la clandestinité, du moins dans le secret et sans espoir d’être vite montré et dont la taille (130 x 195 cm), comme l’inspiration et les références témoignent d’une ambition picturale délibérément muséale, en un temps où une telle destinée lui est proprement inaccessible[8]. Au cours de cette période, la précarité de la situation de Georges Arditi, et de celle de toute sa famille, s’aggrave par les procédures de dénaturalisation qui, en application de la loi du 22 juillet 1940, les privent de leur nationalité française. Par décret du 15 mars 1942[9], ses parents, David et Esther, née Asséo, et leurs trois enfants, Georges donc, Joseph et Rebecca-Denise perdent leur qualité et leurs droits de citoyens français. Dans le même temps, l’appartement familial du 3, place Wagram, explicitement visé par ce décret, est vidé. En l’état actuel des recherches, rien ne permet de privilégier une opération allemande conduite par la Möbel Aktion plutôt qu’une spoliation accomplie au titre de l’aryanisation, sur instruction du Commissariat général aux questions juives, ou même un pillage de voisinage. Tout « circonstanciel » que soit ce crime, il impacte le fonds d’atelier d’un jeune artiste, et Georges Arditi s’en souvient. Le 1er septembre 1996, il adresse un courrier[10] à ce propos à François Renouard, ambassadeur de France, qui était alors Directeur des archives du ministère des Affaires étrangères et donc, à ce titre, en charge des mille boîtes d’archives dites de Rose Valland et de la Récupération artistique. La date a son importance : en septembre 1996, la question du pillage et des spoliations d’œuvres d’art pendant l’Occupation et, par voie de conséquence, celle des restitutions et des indemnisations, ne sont pas revenues au cœur de l’actualité de la mémoire des persécutions, comme cela surviendra quelques mois plus tard. Le livre d’Hector Feliciano, Le Musée disparu[11], à l’origine publique de controverses qui agitent encore le monde de l’art près de trente ans plus tard, n’est sorti que depuis quelques mois. Il accrédite certes les conclusions d’un rapport encore confidentiel de la Cour des comptes, mais la résurgence de cette problématique reste encore cantonnée à de petits cercles du milieu de l’art : la direction des Musées de France n’organise son premier colloque sur la question qu’en novembre, et ce n’est que le 28 janvier 1997, que Le Monde titre sur quatre colonnes « Les musées détiennent 1955 œuvres d’art volées aux juifs pendant l’Occupation ». La Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, dite « Mission Mattéoli », n’est installée par Alain Juppé, Premier ministre, qu’en mars 1997. Dans ce courrier, Georges Arditi narre les conditions dans lesquelles ce logement était habité par sa famille depuis 1914, quitté en 1939, puis réinvesti par lui-même seul, d’octobre 1940 à juillet 1941 ; il décrit, nomme et identifie le voisinage, la concierge, les commerçants du quartier. Il induit de ce qu’une de ses peintures, qui avait figuré dans sa première exposition en 1937 à la galerie La Fenêtre ouverte[12], se soit retrouvée chez le fils d’une concierge de la rue Brémontier qui prétendait en avoir hérité, que le pillage de son fonds d’atelier était le fait du voisinage. Il évalue que 30 à 50 peintures lui furent ainsi volées, mais il ne parvient – 54 ans plus tard, il est vrai ! – à ne décrire très exactement (détail de la composition et des accessoires, dimensions assez précises) qu’une quinzaine d’entre elles.
Dans la foulée du discours de Jacques Chirac au Vel’ d’Hiv’ en juillet 1995, pour faire aussi précocement figure de « précurseur » en tant que victime demandant à l’État de considérer le préjudice subi plus de cinquante ans auparavant et de mener l’enquête, il faut en effet avoir été profondément et durablement marqué par une perte irréparable, qui s’avère décidément fort peu circonstancielle. Lorsqu’en 1939, le critique d’art Bernard Champigneulle (1896-1984) fit paraître un livre sur les peintres figuratifs de sa génération, il l’intitula « L’Inquiétude dans l’Art d’aujourd’hui »[13] sans, évidemment, prendre la pleine mesure du discernement de son titre qui, désormais, résonne prophétiquement. Consacré à « Ceux qui avaient vingt ans en 1918 », comme il en intitule un de ses chapitres, Georges Arditi, trop jeune alors pour avoir été repéré par l’auteur, n’y est pas mentionné, mais son absence fait sens. Lorsqu’on établit aujourd’hui le lien entre ce segment de la scène artistique de l’avant-guerre, tel que Champigneulle le saisit dans cette séquence, et sa recomposition cinq ans plus tard, à la Libération, Arditi en est le chaînon manquant qui explique et éclaire ce moment français de la peinture figurative. Champigneulle place les maîtres d’Arditi au fondement de sa démonstration : son professeur Raymond Legueult en tête, flanqué de Maurice Brianchon et de Roland Oudot, tous trois nés entre 1897 et 1899 et également chargés d’enseignement aux Arts Décoratifs. Ils s’adonnent alors à des compositions – paysages, portraits, scènes de genre – d’un réalisme de bon aloi, mâtiné juste de ce qu’il faut de modernité, qui ne les conduisent qu’après-guerre à initier un micro-mouvement plutôt déprimant, déjà dépassé qu’à peine né : la Réalité Poétique. Parmi la cohorte de Champigneulle, ce sont donc les plus jeunes – légèrement plus âgés toutefois qu’Arditi – dont la façon de peindre cristallise cette notion d’inquiétude si judicieusement détectée par le critique. Ce sont Christian Bérard (né en 1902), Roger Chapelain-Midy (né en 1904), André Marchand et Robert Humblot (nés en 1907), Jean Lasne (né en 1911), Francis Gruber (né en 1912) et Georges Rohner (né en 1913) ; Humblot, Lasne et Rohner ayant constitué, en 1935, avec quelques autres artistes, un groupe qu’ils intitulèrent Forces Nouvelles[14] qui ne perdurera pas au-delà des années 1940. Leur classicisme, fondé sur une de ces énièmes retrouvailles d’une jeune génération artistique avec des moments de l’art que la précédente avait négligés, s’emploie à expérimenter une sorte de ligne claire, pure, austère, grave et sobre, dans des compositions sans emphase mais qu’ils veulent chargées d’une profonde spiritualité intérieure.
Si ce n’étaient son jeune âge dans les cinq années qui précédèrent la guerre et la faiblesse de son insertion dans les réseaux de l’art, tout aurait apparemment dû conduire Arditi en proximité, sinon même en adhésion à Forces Nouvelles. Tout comme celle des artistes du groupe, son inspiration est très tôt « empreinte d’une angoisse existentielle »[15], œuvre d’un artiste porté par « une forme d’engagement élitiste et esthète (…) [qui] voit dans la ré-sacralisation de l’art un moyen de transcender le matérialisme moderne. »[16] Les tableaux des peintres de Forces Nouvelles sont marqués par « le dessin rigoureux, les tonalités sombres, la facture lisse et soignée, le vide poétique (…), un style grave, noble et élevé, qui dépasse tout classicisme ou académisme ordinaire »[17] tout comme ceux d’Arditi. C’est sans doute le tropisme fascisant[18] de certains artistes de Forces Nouvelles qui tînt Arditi à distance de leurs initiatives et conciliabules où, juif, il aurait sans doute déparé, d’autant plus que son engagement en appoint d’actions résistantes durant l’Occupation appelait à la prudence au chapitre des fréquentations politiques. Car si la sensibilité d’Arditi est à gauche, il n’a entendu s’affilier à rien, ni s’en remettre à qui que ce soit pour appuyer son travail ; étreint par le doute et l‘inquiétude, se défiant de l’institution, se méfiant de ses semblables, il n’a fait confiance, pour placer ses tableaux, qu’à la même opiniâtreté solitaire qu’il mettait dans sa peinture. Si bien que son œuvre est singulièrement absente des musées dont on sait à quel point le travail procédant de la solitude peine à en pénétrer les collections. Quels efforts de persuasion dut-il déployer pour attirer à l’atelier des Inspecteurs de la Création artistique ? Ils consentirent à consacrer, à 9 reprises entre 1948 et 1982, juste assez de budget pour acquérir de petites natures mortes et de modestes paysages, bien peu représentatifs des grandes compositions ambitieuses d’Arditi (à l’exception du prodigieux et drolatiquement grinçant Portrait de Lartigue[19] déposé à l’Ambassade de France en Australie alors que c’est à Arles, voyons, qu’il devrait être… !), toutes ces œuvres étant désormais dispersées dans des ministères et des représentations diplomatiques, sauf les deux premiers achats (1948 et 1949) dont on peut espérer du Paysage de Provence qu’il décore toujours la Mairie de Bejaïa, le grand port de Kabylie, tandis que la Nature morte à la nappe blanche (cat. 34, p. 73), déposée à Roubaix La Piscine – musée d’art et d’industrie André-Diligent, n’est, à ce titre, pas étrangère à l’exposition dont ce catalogue est la publication.
Dans le registre voisin de la commande publique, qui s’avère pourtant être le prix de consolation décerné aux artistes oubliés ou recalés des acquisitions muséales, Arditi pâtit d’un traitement pire encore. L’éventualité d’une décoration murale dans le collège technique Jules Ferry de Versailles était en discussion depuis février 1947 entre la mairie et le Bureau des Travaux d’Art, via l’Académie. Courant 1948, une concertation entre les services municipaux, académiques et l’inspection des Beaux-Arts, débouche sur deux murs de la salle de dessin industriel n° 4, comme étant susceptibles d’accueillir des peintures. Le dossier ne dit pas dans quelles circonstances le Bureau des Travaux d’Art (BTA) choisit Georges Arditi, non plus qu’il n’indique la thématique de la composition commandée à l’artiste ni comment ses maquettes (qui sont mentionnées) furent validées. Toujours est-il que le 26 avril 1949, le chef du BTA lui adresse, sans motif précisé, une convocation l’invitant assez abruptement à passer à son bureau de la Direction générale des Arts et des Lettres, 53, rue Saint-Dominique et que, le 9 mai, cette même administration lui demande d’entrer en relation avec l’architecte versaillais du collège, Blanchard. Le 9 décembre, l’arrêté portant commande lui est signifié, moyennant un budget total de 160 000,00 francs payable en deux fois. Le 6 juillet 1950, Georges Arditi met un petit mot manuscrit[20] à ses commanditaires, les informant qu’il aura achevé le travail le 15 août, date à laquelle il part à la campagne. Il sollicite, dans la foulée, le passage de Marguerite Lamy, Inspecteur des Beaux-Arts, afin « de s’en rendre compte » et que le solde de la commande puisse lui être versé courant septembre. Apparemment, Madame Lamy ne se déplace pas, mais les fonds lui sont virés le 22 septembre. Le 21 octobre 1950, en réponse à un courrier du 27 septembre dont on ne dispose pas, le directeur du collège écrit à Pierre Goutal[21], chef du BTA, pour lui confirmer que « le travail a été exécuté (…) mais que, ne pouvant vous exprimer mon opinion sur le résultat obtenu, j’ai dû demander à M. Beaumont, Inspecteur Général des Arts, de venir au Collège et d’établir un rapport sur l’œuvre achevée ». P.-L. Beaumont[22], au mépris de la validation administrative et artistique des esquisses du projet d’Arditi, se pose en donneur de leçon réactionnaire et guindé, tant sur l’emplacement de l’œuvre que s’agissant de son contenu et de sa réalisation, en des termes que désapprouveraient même les thuriféraires du réalisme socialiste. C’est une peinture murale se déployant sur 36 m2 sous forme d’une frise qui court sur le long côté d’une salle de classe, face aux fenêtres, et se poursuit sur le mur de refend, c’est-à-dire le fond de la salle, face à l’estrade ; les pupitres des collégiens sont disposés de telle sorte qu’ils tournent le dos à ce segment final de la composition à laquelle ils ne font face que lorsqu’ils quittent la salle. La composition se lit donc de gauche à droite, depuis les scènes situées à l’aplomb de l’estrade, jusqu’à la porte de la salle. Elle n’est plus connue que par un relevé photographique réalisé à la chambre, sur négatifs plaque de verre, par Marc Vaux qui fut l’un des photographes de l’œuvre d’Arditi[23].
Peinture murale pour la classe n° 5 de dessin industriel du collège technique Jules Ferry de Versailles. Commande de l’État, 1949; détruite en 1970-1971.
Prises de vues photographiques réalisées in situ par Marc Vaux.
Il s’agit d’une création unique et exceptionnelle dans la carrière d’Arditi. Dans le contexte de la Reconstruction, elle décline, sous forme de scénettes compartimentées mais s’interpénétrant, le récit de l’enseignement technique et industriel – qui est au centre de la composition – en tant que fondement de la modernisation et de la mécanisation de l’appareil productif. Sans pour autant céder aux canons, en vogue à l’époque, du réalisme socialiste (nul appel à la lutte prolétarienne !) la fresque d’Arditi est une glorification du travail ouvrier instruit : elle est en cela plus proche de l’esprit de Les Lettres françaises (l’hebdomadaire des « compagnons de route » auquel, par des dessins, Arditi collabore au même moment) que de celui de l’Humanité-Dimanche et on peut la voir inspirée par le panneau du Bon Gouvernement de Lorenzetti du Palazzo Pubblico de Sienne (1338). Elle déploie dix-sept personnages, des hommes, de part et d’autre d’un enseignant adossé à un tableau noir face auquel cinq collégiens à leurs pupitres prennent des notes ; le maître tend son bras droit, comme pour le montrer en exemple, vers un dessinateur industriel à sa table inclinée presque à la verticale. Vu de dos, il tient un pantographe et une équerre ; face à lui, un autre dessinateur s’attelle à la même tâche tandis qu’en partie gauche deux tourneurs façonnent des pièces à leur établi ; séparé d’eux par un pilier métallique, un ouvrier alimente une chaudière. Dans les scénettes de droite : un menuisier, deux tôliers puis trois assembleurs de moteurs concluent cette partie de la composition. Sur le mur de refend, un seul personnage : le conducteur d’un tracteur à nacelle surplombe un panorama où se succèdent une gare de chemin de fer et son faisceau de rails, un port surmonté par un gigantesque pont transbordeur, transposition exacte de celui de Marseille détruit peu auparavant par l’armée allemande, auquel est amarré un paquebot dont l’immense étrave[24] jouxte un bouquet de grues. On peut espérer que le BTA aura eu la délicatesse de ne pas communiquer à Georges Arditi le rapport de P.-L. Beaumont, mais il est à craindre que ses malheureux et désobligeants propos n’aient douché la Commande publique de faire de nouveau appel à l’artiste. Près de trente-cinq ans plus tard, sans doute inquiet de savoir ce qu’il en était de son œuvre, Arditi s’enquiert auprès de l’établissement. Il est alors destinataire d’un courrier manuscrit[25] du 25avril 1994, de J.-B. Dutuit, proviseur adjoint du lycée : « (…) je vous confirme que la fresque murale que vous aviez réalisée (…) a dû malheureusement disparaître pendant les travaux de reconstruction de l’établissement de 1979 à 1981. Néanmoins, plusieurs professeurs et anciens élèves, contactés par mes soins en ont gardé un beau souvenir et localisé son emplacement de manière indubitable. » Ni regrets, ni excuses. En 2001, Georges Arditi fait donner son avocat. Le 5 mars, Me François Klein s’adresse au ministre de l’Éducation[26] ; après avoir rappelé les circonstances de la commande et de la destruction, il indique que cette dernière est survenue sans information préalable due à l’artiste, sans son autorisation et, à ce titre, en contravention avec l’article L121-1 du code de la propriété intellectuelle. Il suggère au ministère de proposer à son client un dédommagement en réparation, ou la réalisation d’une nouvelle œuvre. Une relance du 21 juillet suivant révèle qu’un contact téléphonique avait été établi dans la foulée de la lettre initiale, au terme duquel un interlocuteur avait indiqué à l’avocat que ce litige ne dépendait pas du ministère de l’Éducation nationale et qu’un courrier allait prochainement lui parvenir à ce propos ; courrier qui ne vint jamais. Tout comme dans l’affaire de son atelier pillé pendant l’Occupation, Georges Arditi n’avait donc pas lâché. Pour le coup, son obstination fut moins couronnée de succès : s’il fut, en 2000, l’un des premiers bénéficiaires de la toute nouvellement créée Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation, et certainement le premier artiste à l’avoir été, le ministère de la Culture n’a point encore relevé l’ouverture qu’il émettait sous la plume de son avocat. Il est toujours temps : la succession de Georges Arditi conserve un fonds de près de 500 peintures dont un grand nombre pourrait représenter, dans les collections de l’État, son immense talent, bien plus et bien mieux que les quelques-unes qui y figurent déjà, et enrichir de la sorte les collections de nombreux musées de France.
[1] Cf. Le Temps, 13 août 1932, page5 ; les deux autres médaillés de l’année sont Jacques Jonas, le plus jeune fils du peintre valenciennois Lucien Jonas, et Henri Laborit, le futur inventeur dans le champ médical.
[2] Cf. infra
[3] Cassandre est surtout connu comme typographe et en tant que créateur affichiste.
[4] Il aurait également eu, comme professeurs, Emmanuel Fougerat, André Devambez et Jean Dupas.
[5] Archives de la succession Georges Arditi.
[6] Arditi, catalogue de l’exposition, Paris, musée de La Poste, 6 novembre – 31 décembre 1990, galerie Christine Colas, Paris, 1990.
[7] Ce, d’après la liste des artistes représentés dans les collections du Mnam. En élargissant la focale, on n’en trouve guère plus pour les natifs de 1915 ; en revanche, Étienne-Martin et, à placer en résonance avec Arditi, André Fougeron et Georges Rohner sont nés en 1913.
[8] En mai 1994, Arditi proposait Le Crépuscule à l’acquisition pour les collections du Centre Pompidou. Sans même que l’institution ne s’enquière auprès de lui des conditions auxquelles il consentirait à le céder, il lui fut opposé que « ce tableau (…) trouverait difficilement sa place dans le parcours de[s] [nos] collections » … où, quelques années plus tard, nous aurions été quelques-uns à être enchantés de pouvoir l’y accrocher…
[9] Décret n° 761, publié au Journal officiel de l’État français le 20 mars 1942, page 1093.
[10] Archives de la succession Georges Arditi.
[11] Hector Feliciano, Le musée disparu, Enquête sur le pillage des œuvres d’art en France par les nazis, Paris, Austral, 1995, 230 p. Dans sa lettre à l’ambassadeur François Renouard, Georges Arditi fait état d’une rencontre et d’une séance de travail avec Hector Feliciano.
[12] On sait peu de choses sur La Fenêtre ouverte, galerie tenue rue Lincoln par le peintre espagnol Rafael Durancamps (1891-1979) durant les années 1930. En 1937, la même année qu’Arditi y exposa, cette galerie accueillit également les œuvres d’une artiste américaine résidant à Paris depuis les années 1920, Flora Crockett qui fut élève de Fernand Léger à l’Académie Moderne, ainsi que la première exposition de Madeleine Dinès, la fille de Maurice Denis et épouse de Jean Follain.
[13] Bernard Champigneulle, L’Inquiétude dans l’Art d’aujourd’hui, introduction de René Huyghe, Paris, Mercure de France, 1939, 40 pl., 190 p.
[14] Cf. Artémise Kampa, « Le syncrétisme esthétique de Forces Nouvelles (1935-1942). Une voie pour la définition de l’identité culturelle française dans l’imaginaire de l’entre-deux-guerres », thèse, sous la direction de Thierry Dufrêne, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2014. https ://bdr.parisnanterre.fr/theses/internet/2014PA100081/2014PA100081.pdf
[15] Kampa, op. cit. p. 395.
[16] Kampa, op. cit. p. 397.
[17] Kampa, op. cit. p. 400.
[18] L’engagement individuel de certains artistes de Forces Nouvelles, clairement antifascistes, ne doit pas obérer la posture programmatique du groupe dont Artémise Kampa explicite ainsi le positionnement : « Dans le climat de confusion idéologique de 1930 et de fascination devant la révolte morale fasciste, le groupe apparaît comme l’expression esthétisée de cette déviation, un symptôme de fascisme de gauche dans le domaine esthétique. » (p. 390-391).
[19] 1978, 130 x 162 cm, n° de l’État = 33373
[20] …très bizarrement daté de sa main « 6.7.40 » !
[21] Sur la politique publique de commandes d’œuvres d’art au cours de cette période, cf. sous la direction de Christian Hottin et Clothilde Roullier, la publication qui accompagne l’exposition éponyme aux Archives nationales, site de Pierrefitte, Un art d’État ? Commandes publiques aux artistes plasticiens (1945-1965), Paris & Rennes, 2017, 256 pages.
[22] Auteur, par ailleurs, d’un L’Éducation artistique dans l’enseignement technique de 39 pages, publié en 1956 par le ministère de l’Éducation nationale.
[23] Subsistent 37 plaques de verre de prises de vues d’œuvres (des années 1930 aux années 1960) d’Arditi dans le Fonds Marc Vaux de la Bibliothèque Kandinsky. Dans les archives familiales, des tirages argentiques estampillés Marc Vaux, dont les plaques de verre ne sont pas à la BK, figurent dans le dossier des œuvres spoliées pendant l’Occupation.
[24] … qui n’est pas sans rappeler celle du Normandie telle que Cassandre l’avait représentée en 1935 dans sa célèbre affiche publicitaire de la Compagnie Générale Transatlantique.
[25] Archives familiales.
[26] Idem.